Dernier jour 17h32

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GlobalNewsTV : La jolie journaliste blonde s'arrête en milieu de phrase pour annoncer, d'une voix qui veut trahir une certaine effervescence, une séquence spéciale fournie par l'US Navy. Elle disparaît pour faire place à des images en fausse couleur en provenance d'un chasseur qui survole une ville à très basse altitude et à très grande vitesse. Pour permettre au public de distinguer les détails, la séquence, très courte, est diffusée en boucle alternativement en vitesse réelle et au ralenti. L'avion saute un escarpement boisé et file vers le port. La vitesse, aussi près des toits, est hallucinante. On discerne le tir d'un missile qui touche le dernier étage d'une construction dans une déflagration fulgurante. Une voix off explique que la séquence a été prise quelques minutes auparavant au-dessus de Santa-Maria D'Almogar. Sur le ralenti, juste avant le tir du missile, un observateur très attentif peut distinguer dans un éclair trois minuscules formes humaines sur un toit. Ce dernier détail est aussitôt repéré par un ado qui utilise une IA pour analyser les canaux d'information. Celle-ci détecte qu'au pied d'un immeuble proche se trouve une tâche étrange. Il ne fait aucun doute qu'un détail a été retouché. Sous le commandement expert de l'ado, l'IA poursuit son analyse en cherchant tous azimuts afin de deviner ce qui a été effacé. Elle trouve des traces d'ondulations sur les flaques d'eau. Hypothèse la plus probable : hélicoptère en vol stationnaire. L'ado se frotte les mains et diffuse l'information sur son groupe de discussion favori. Une seconde plus tard, un moteur de recherche indexe le commentaire. La seconde suivante, l'information est connue de tous les services secrets, de tous les journalistes et de tous les terroristes de la terre.

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Reuters, Santa-Maria d'Almogar, aujourd'hui, 17h28 : (FLASH) Des F-234 viennent de réduire une batterie de missiles sol-air que des terroristes avaient déployés sur le toit d'un immeuble dans le centre de la ville. Le commandement de la flotte précise que « des dégâts collatéraux importants sont à déplorer » et que « la population a dû être choquée par le bruit, car les F-234 ont effectué leur attaque à une vitesse sensiblement supersonique ». Le porte-parole de la flotte s'en est justifié en déclarant que « face à des missiles de technologie récente, nous n'avons pas le choix ». On ignore à cette heure pourquoi des terroristes voulaient abattre des aéronefs au-dessus de la paisible petite ville balnéaire. Une navette au décollage de l'astroport, par exemple celle qui doit emporter ce soir les derniers passagers pour Exodus, pourrait être la cible. Cependant, nos experts nous indiquent que cette hypothèse est assez peu probable, du fait de l'éloignement considérable de l'astroport par rapport à l'immeuble détruit. Le commandement de la flotte américaine précise que l'opération est toujours en cours, car la présence d'autres batteries est évaluée comme très probable.

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— DS-6 à autorité.

— Oui DS-6.

— DS-5 est mort. Je suis blessé. Je demande la permission de me replier.

— Pardon ?

— DS-6 à autorité, je répète : DS-5 est mort, je suis blessé aux jambes. Je demande la permission de me replier.

Shrieffer regarda sombrement Daeffers qui lui arracha le micro des mains pour y gueuler :

— Autorité à DS-6, négatif ! Que s'est-il passé ?

— L'hélicoptère nous a tirés dessus. DS-5 s'est fait descendre. J'ai été touché aux jambes par des éclats. Mon système de vision est en rideau. Mes drones sont nazes. J'ai moins d'un tiers de mes fonctions qui marchent encore. Je peux à peine marcher. Je ne suis plus opérationnel.

Shrieffer intervint :

— C'est foutu, on n'arrivera pas à effacer les traces, ni même à faire croire la moindre histoire.

— Ta gueule ! éructa Daeffers à son intention. Il était rouge de rage. Il reprit en main la commande de la radio. Il y dit en sifflant entre ses dents :

— Autorité à DS-6. Oubliez les impératifs qu'il ne faut pas laisser de traces, et tuez-les ! Tous ! C'est un ordre.

— DS-6 à autorité. Une chose est certaine, dans l'état où sont mes jambes, je ne peux pas monter les chercher.

Shrieffer pensa : il faut laisser tomber. Il regarda Daeffers qui réfléchissait et qui prit à nouveau le micro :

— Autorité à DS-6. Écoutez-moi bien. L'hélicoptère ne peut pas prendre d'altitude pour les récupérer sur le toit. Vous n'avez qu'à faire le mort et les attendre, car ils vont descendre à votre rencontre, c'est certain. Et à ce moment-là, l'hélico ne pourra plus faire feu. Confirmez.

— DS-6 à autorité. Je m'embusque et je les attends.

— Affirmatif DS-6. Nous comptons sur vous ! Il est tout à fait impératif qu'ils ne s'en sortent pas vivants. Terminé.

Shrieffer regarda son chef avec stupéfaction et horreur. Il pensa : et en plus, ça peut marcher.